La distribution du sédiment dans la colonne d’eau sur les plages du Nord Pas-de-Calais

La distribution du sédiment dans la colonne d’eau au cours du transport longitudinal sur les plages du Nord Pas-de-Calais

Préambule

Cet article a pour objectifs de vulgariser un article scientifique qui a été publié en 2015. Il porte sur la répartition du sédiment dans la colonne d’eau au cours du transport sédimentaire longitudinal et spécifiquement sur les plages macrotidales (grandes marées) du Nord de la France.

Cet article de vulgarisation est le 2e (lire le 1er?) et vise à rendre accessible des études fondamentales et techniques au grand public averti ou non.

C’est dans ce contexte que Géodunes vous propose une version simplifiée et en français d’une de ses publications réalisées en collaboration avec le Laboratoire d’Océanologie et de Géosciences.

Vous pouvez télécharger la version officielle en cliquant sur le lien suivant:

Cartier, A., et Héquette, A., – 2015 – Vertical distribution of longshore sediment transport on barred macrotidal beaches, Northern France. Continental Shelf Research, 93, 1-16

1. Contexte de l’étude

L’étude du fonctionnement du littoral passe par l’analyse de processus fondamentaux qui peuvent paraître insignifiant aux yeux du grand public. Quel est l’intérêt d’étudier comment est réparti le sable dans la colonne d’eau ?

Ce type d’étude, comme celle qui a été vulgarisée précédemment (en savoir plus ?), est à la base de la compréhension physique du fonctionnement des plages et permet de préciser les différents modèles mathématiques de prévision du comportement du littoral (comme ceux utilisés pour prédire la météo par exemple, avant de créer le modèle, il faut comprendre cela fonctionne.)

La répartition du sédiment dans la colonne d’eau et plus particulièrement au cours du transport sédimentaire longitudinal n’est pas très bien connu. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés à sa répartition à plusieurs endroits sur la plage et à plusieurs moments de la marée.

2. Objectifs de l’étude

Les plages du Nord de la France sont caractérisées par ce qu’on appelle des barres et des bâches (accumulation et dépression).  L’objectif de l’étude est donc de caractériser et de définir la répartition du sédiment au cours du transport longitudinal:

  • au niveau des barres et des bâches;
  • en fonction des conditions météo-marines (beaucoup de houle ou pas);
  • sur 3 sites différents.

Quelle est l’influence de tous ces paramètres sur le sédiment dans la colonne d’eau ? Est-ce différent d’un site à l’autre ?

3. Le transport longitudinal ?

Avant d’aborder l’étude, il faut avoir quelques notions sur la notion de transport sédimentaire. Le sable est mis en mouvement par les vagues et les courants marins. Plus le sable a une granulométrie élevée (taille des grains) plus les courants et la houle doivent être importants.

Le sable est ensuite transporté de différentes manières (par charriage et en suspension) par les différents agents:

  1. courants de marée;
  2. courants oscillatoires de la houle
  3. courants liés aux déferlements de la houle

3. 1 Les courants de marée

Nous nous intéressons ici uniquement aux conditions qui régissent l’hydrodynamique du littoral du Nord de la France. Ce qui est décrit par la suite peut être différents pour d’autres régions du globe.

Sur le littoral du Nord de la France et plus particulièrement sur les côtes bordées par la mer du Nord et la Manche, il existe deux courants de marée: le jusant et le flot.

Le jusant, lié à la marée descendante, est dirigé vers l’Ouest tandis que le flot, lié à la marée montante est dirigé vers l’Est (Figure 1). Notez également que le flot dure moins longtemps que le jusant mais qu’il est plus intense. De fait, il y a une résultante du courant qui est dirigé vers l’Est. Comprenez, la mer fait 2 pas vers l’Ouest et 3 pas vers l’Est, on a donc un transport résiduel vers l’Est.

La renverse de courant se produit également environ 3h avant/après la marée haute/basse.

3. 2 Les courants oscillatoires de la houle

Cela va devenir un peu plus complexe… Essayons de faire simple.

La houle, formée par le vent qui souffle à la surface de la mer, est une onde dite de surface.

Lorsque l’on est au large, la houle ne transporte pas de matière.

La Figure 2 montre parfaitement le comportement d’une particule d’eau au cours du passage de la houle, sa position oscille, mais elle reste en place.

On observe donc un mouvement de va-et-vient des particules sans qu’il y ait transport. Le sédiment suspension subit le même sort.

3. 3 Les courants liés au déferlement des vagues

Tout cela est bien différent à l’approche du littoral. La profondeur est moins importante et la houle va venir frotter sur le fond engendrant un ralentissement de sa vitesse au fond alors que la surface a conservé celle de départ, il y a déséquilibre, la vague se brise et déferle, mettant en mouvement le sable. Il y a non seulement un transport de sable dirigé vers la côte mais en fonction de l’angle d’incidence de la houle, il se créé également un courant latéral. Celui-ci est donc localisé uniquement dans la zone de déferlement. Si la houle vient de l’Ouest, le courant créé ira vers l’Est (Figure 3). En fonction de la phase de la marée, il peut se combiner au courant de marée ou au contraire le contrer. Tout en sachant que les courants de marée sont de moins en moins efficace au fur et à mesure que l’on se rapproche de la côte.

En fonction du comportement de la houle, on distingue plusieurs zones hydrodynamiques

  • La zone de levée: la houle n’a pas encore déferlée;
  • la zone de déferlement: la vague se brise et déferle;
  • la zone de surf: correspond à la propagation de l’eau suite au déferlement (mousse blanche etc.)
  • la zone de swash

4. Zones d’étude

Nous avons étudié la répartition du sédiment dans la colonne d’eau sur 3 sites (Figure 5):

  • Zuydcoote
  • Wissant
  • Hardelot

Cela nous permet d’avoir une bonne représentativité des conditions générales de la côte d’Opale. Ces plages sont définies par un système de barres et de bâche (Figure 6), une pente faible, un large estran et une granulométrie plutôt fine.

Figure 5: Localisation des sites d'étude
Figure 5: Localisation des sites d’étude
Figure 6: Les barres et les bâches en baie de Wissant
Figure 6: Les barres et les bâches en baie de Wissant

5. Méthodologie

Comment avons-nous fait pour étudier la répartition du sédiment dans la colonne d’eau ? Et quels autres paramètres avons nous mesuré?

Pour mesurer la quantité de sable dans la colonne d’eau, nous avons utilisé des pièges à sable de type Kraus (1987) (Figure 7). D’une hauteur de 1,5m, avec 5 ouvertures munies de filet d’une maille de 63µm, ces structures sont placées face au courant et captent le sable en suspension pendant 10min.

Pour mesurer les paramètres hydrodynamiques, nous avons utilisés différents instruments hydrographiques permettant de déterminer: la vitesse et direction du courant, la hauteur de la houle et sa direction, la hauteur d’eau, et très important, un profil de vitesse dans la colonne d’eau pour pouvoir le comparer avec le profil de transport issu du piégeage du sable.

Ces piégeages ont été répétés à plusieurs moments de la marée et à plusieurs endroits de la plage (Figure 8).

6. Résultats

Grâce à des instruments de type ADCP, nous sommes en mesure de définir la vitesse du courant à plusieurs niveaux dans la colonne d’eau. La Figure 9 illustre plusieurs exemples de mesures de courant où les couleurs chaudes indiquent une vitesse élevée.

Que remarque-t-on ?

Prenons le 1er graphique, Zuydcoote le 14/11/2008. On remarque que la vitesse du courant est plus forte au début du cycle (rouge) qu’à la fin (bleu). Cela traduit ce dont on a parlé précédemment, le courant lié à la marée haute, le flot, est plus intense que le jusant au moment de la marée descendante. A marée haute, vers 14h, on remarque que la vitesse du courant est plus élevée en surface qu’au fond. C’est fondamental, l’eau frotte sur le fond sableux ce qui provoque un ralentissement, on a donc une décroissance de la vitesse du courant de la surface vers le fond. Attention, ce n’est pas toujours le cas, comme à Wissant les 2 premiers jours où quasiment toute la colonne d’eau se déplace à la même vitesse, et ce, en raison d’un fort coup de vent.

Nous sommes ensuite intéressés à la répartition du sédiment dans la colonne d’eau. Est-ce qu’il suit scrupuleusement la répartition de la vitesse dans la colonne d’eau? La Figure 10, montre 3 exemples types de profil de répartition du sédiment. Vous avez en abscisse le taux de transport et en ordonnée la hauteur au-dessus du fond:

  • rond noir: profil hétérogène mais avec des taux de transport relativement élevé
  • triangle noir: profil homogène avec de faibles taux de transport
  • carré blanc: un très fort transport au fond et une répartition plutôt homogène sur la partie supérieure de la colonne d’eau.

Lorsque l’on compare la répartition du transport et de la vitesse du courant, on remarque qu’elle généralement contraire (Figure 11), c’est-à-dire que plus on s’approche du fond plus il y a de transport alors que la vitesse au contraire décroit. C’est tout à fait normal. Nous l’avons dit précédemment, le courant est freiné sur le fond ce qui a pour conséquence de mettre en mouvement le sable de manière significative, mais sans pour autant qu’il soit diffusé de façon homogène dans la colonne d’eau.

L’objectif étant de décrire et comprendre commet se comporte le sédiment dans la colonne d’eau en fonction de la localisation sur la plage et des conditions énergétiques de la houle, nous avons utilisé un indicateur permettant de décrire la forme du profil: le « Mixing Coefficient ». Nous avons donc calculé ce coefficient pour chaque mesure de transport (172) où plus le coefficient est faible plus cela signifie que le profil est uniforme dans la colonne d’eau.

La Figure 12 est un peu complexe, mais elle montre quelque chose de fondamental. En effet, observons bien l’enveloppe des profils mesurés sur les barres et dans les bâches (troughs en anglais). L’enveloppe est beaucoup plus resserré dans les bâches que sur les barres. La Figure 12C montre également qu’en moyenne le mixing coefficient est plus faible dans les bâches que sur les barres.

Traduction, le sédiment est beaucoup plus homogène dans la colonne d’eau dans les bâches que sur les barres dans la zone proche du déferlement.

Ce paramètre ne prend cependant pas en compte un élément important qui est la taille du sédiment. Pour une même vitesse de courant, les grains grossiers auront plus de mal à être mis en mouvement et à être diffusé dans la colonne d’eau que s’ils sont fins. On a donc utilisé un coefficient de diffusivité qui prend en compte la taille des grains.

Lorsque l’on compare le coefficient de diffusivité avec le taux de transport (Figure 13), on s’aperçoit que plus il y a de transport sédimentaire moins la diffusion est efficace. En revanche, si le transport est faible, on a une diffusion qui peut être autant efficace que quasi nulle. Nous avons aussi mis en lumière que la diffusion est beaucoup plus efficace dans les bâches que sur les barres et que les plus fortes valeurs de coefficient de diffusivité sont associées à de très faibles valeurs de mixing coefficient.

Figure 13: Comparaison entre le coefficient de diffusivité et le taux de transport sédimentaire (Q).
Figure 13: Comparaison entre le coefficient de diffusivité et le taux de transport sédimentaire (Q).
Figure 12: A) Profils normalisés et enveloppe de l'ensemble des profils de transport sédimentaire mesurés sur les barres et les bâches. B) Profils normalisés et enveloppe de l'ensemble des profils mesurés sur la plage de Zuydcoote. C) Valeur moyenne et maximale du mixing coefficient en fonction de la localisation sur l'estran. B signifie barre et T signifie les bâche. B1 est la barre de haut de plage et T3 la bâche de bas de plage
Figure 12: A) Profils normalisés et enveloppe de l’ensemble des profils de transport sédimentaire mesurés sur les barres et les bâches. B) Profils normalisés et enveloppe de l’ensemble des profils mesurés sur la plage de Zuydcoote. C) Valeur moyenne et maximale du mixing coefficient en fonction de la localisation sur l’estran. B signifie barre et T signifie les bâche. B1 est la barre de haut de plage et T3 la bâche de bas de plage

7. Discussion

Récapitulons les résultats de cette étude:

  • la vitesse du courant décroît de la surface vers le fond en raison du frottement de l’eau sur le fond;
  • Lors de fort coup de vent, la vitesse du courant peut être homogène sur toute la colonne d’eau
  • le transport sédimentaire augmente de la surface vers le fond en raison du frottement du courant sur le fond mais il existe une multitude d’autres types de profil;
  • La répartition du sédiment est plus homogène dans les bâches que sur les barres;
  • la diffusion du sédiment est plus efficace dans les bâches que sur les barres.

Comment expliquer ces résultats ?

Dans les bâches, le courant est relativement faible et la houle est généralement peu élevée parce qu’elle a généralement déferlé juste avant. Le transport sédimentaire total y est donc plutôt faible.  Puisque le courant y est faible, il y a très peu de remise en suspension du sédiment ce qui explique des profils plutôt homogène et surtout un transport au niveau du fond plutôt limité. L’apparente meilleur diffusivité reflète en fait la suspension de particules fines qui ont du mal à se déposer et qui est plutôt homogènes dans la colonne d’eau. Le fond des bâches est également caractérisé par la présence de micro rides qui favorise la diffusion du sédiment dans la colonne d’eau

A contrario, sur les barres, les vagues déferlent et remettent en suspension le sédiment de manière efficace mais essentiellement localisé au niveau du fond ce qui explique ces profils hétérogènes. Bien qu’il y ait déferlement, la hauteur des vagues caractéristiques du Nord de la France ne permet pas une mise en suspension efficace dans toute la colonne d’eau ce qui se traduit par des coefficients de diffusivité plus faible.

8. Conclusions

Cette étude a permis de mieux décrire le comportement du sable dans la colonne d’eau sur les plages macrotidales du Nord de la France. La répartition du sédiment est intimement liée aux agents hydrodynamiques mais aussi à la morphologie de la plage qui influence ces agents et par conséquent la répartition du sédiment dans la colonne d’eau. Ces résultats permettront aux ingénieurs de mieux calibrer leur modèles mathématiques et ainsi obtenir de meilleurs résultats pour les prédictions d’évolution du littoral et/ou de calcul de transport sédimentaire.

Cet article de vulgarisation n’aborde pas tous les points en détails, et nous vous suggérons de vous référer à l’article en lui même pour avoir plus de précisions. Notez que l’article scientifique s’adresse à un public averti et anglophone.

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